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Trisomie 21: «Une journée mondiale pour affirmer une particularité, pas une identité»

«Cette journée du 21 mars est l’occasion de lutter contre les clichés qui définissent trop souvent la trisomie 21.» Trisomie21-France

FIGAROVOX/TRIBUNE - À l’occasion de la journée mondiale de la trisomie 21, l’auteur Vanessa Arcos, dont la fille de 11 ans est atteinte de ce syndrome, rappelle que chaque individu, au-delà de toute particularité, a le droit d’exercer et d’exprimer librement ses choix de vie.

Vanessa Arcos, est auteur de récits philosophiques et d’ 1 chance sur 666 paru aux Éditions Terre en Ciel.


Il est entendu aujourd’hui que les sociétés humaines se sont fondées sur des récits, à travers les mythes d’origine. Il y en a eu beaucoup, ils ont servi de point d’ancrage et sont devenus les fondations des cultures et les soubassements de la culture. Le verbe a permis aux hommes de se rassembler sous une bannière, d’appartenir à un groupe social, de créer une société.

Avant de réussir à parler, ce qui constitue un exploit incroyable, l’humain a passé toute son enfance à apprendre à le faire et peut, à chaque âge de sa vie, apprendre à le parfaire. Il paraît tellement naturel pour des parents que leur enfant interagisse avec eux dès les premiers mois, qu’il comprenne naturellement la réciprocité dans l’échange et qu’il trouve toujours un moyen de s’exprimer même s’il n’a pas encore les mots. Le pouvoir de dire «je» est au bout de l’aventure humaine.

Mais ce graal n’est pas à la portée de tout le monde. Soit parce que l’enfant porte en lui un handicap et n’a pas la capacité intelligible de parler, soit parce que la société est handicapante pour lui, qui a déjà dans son génome la marque indélébile d’un syndrome.

Pour Valentine, ma fille de 11 ans porteuse de trisomie 21, le « je » est tremblotant, hésitant, tâtonnant. Il restera toujours une conquête à mener pour sa vie entière.

Pour ma fille Valentine, porteuse de trisomie 21, s’exprimer n’est pas toujours naturel. Cette potentialité a été travaillée avec son orthophoniste depuis ses trois mois. Cela a été construit pour plus tard, pour sa vie d’adulte.

Posséder le «je», c’est «s’élever infiniment au-dessus de tous les êtres vivants sur la Terre», disait Kant. Par la première personne du singulier, on devient une personne et un sujet. Cette personnalisation est capitale, la littérature et la philosophie s’en souviennent. Cela paraît tellement évident à énoncer, mais dans l’histoire humaine, c’est avec ce «je» que tout commença.

Les narrateurs impersonnels et anonymes peuplèrent les livres au commencement… Puis, il fallut Platon et Socrate pour affirmer que l’âme humaine détenait une vérité et que l’être humain avait des interrogations, des sentiments et qu’il avait besoin de les communiquer. Le «moi» put alors commencer à s’affirmer et à s’incarner sous la plume des grands penseurs.

La littérature s’en donna ensuite à cœur joie avec, pour chaque siècle, des auteurs charismatiques, lyriques et très affirmés. Ainsi, Jean-Jacques Rousseau et ses Confessions, Victor Hugo et ses engagements moraux et sincères, Émile Zola et son «J’accuse…!», Marcel Proust entre exagération et introspection semèrent toutes les graines pour l’humanité. Des écrivaines émergèrent et utilisèrent l’affirmation de leur genre au service de l’égalité et du droit des femmes: Olympe de Gouges, George Sand ou encore Virginia Woolf luttèrent contre les préjugés pour affirmer un «je» féminin qui avait le droit de rêver et de croire en lui.

Pour Valentine, ma fille de 11 ans porteuse de trisomie 21, le «je» est tremblotant, hésitant, tâtonnant. Il restera toujours une conquête à mener pour sa vie entière. Utiliser la première personne du singulier lui permet d’être sujet et de se rendre présente à elle-même pour oser affirmer ses envies, ses choix, sa différence et construire sa vie. Elle n’en fera assurément jamais mauvais usage et il demeurera son passeport pour l’autonomie.

Dans notre société qui sacralise le « je », le revendique et le crie en permanence, il n’a jamais été aussi facile de s’exprimer et aussi difficile de se faire entendre.

Dans notre société qui sacralise le «je», le revendique et le crie en permanence, il n’a jamais été aussi facile de s’exprimer et aussi difficile de se faire entendre. Mais ce «je» moderne n’est pas un «je» constructif. Ce n’est que trop peu souvent l’affirmation de soi au service de l’autre, avec empathie sincère, envie et joie. Ce «je» est devenu égoïste, égotique, individualiste.

C’est un «je» tyrannique, despotique qui stérilise nos sociétés et qui ne mène nulle part. Il est peut-être temps de passer au «nous». Mais ce «nous» reste une chimère. Considérer autrui comme son semblable ne va hélas pas de soi. La ressemblance cesse justement aux frontières de la différence et des particularismes. L’identité humaine peut donc souffrir paradoxalement de sa propre diversité et de son infinie richesse.

Nous, parents d’enfants différents, handicapés parlons souvent pour nos enfants et pour tous ceux qui ne peuvent pas le faire. Cette journée mondiale est à fêter avec fierté pour rappeler que tout le monde a le droit de choisir sa vie, de s’exprimer et d’être entendu.

Les personnes porteuses de trisomie 21 vivent avec nous, elles sont nos enfants, nos sœurs, nos frères, nos voisines, nos voisins. Elles veulent être aussi nos camarades de classe, nos collègues de travail et des citoyens à part entière. La société ne leur permet pas systématiquement de décider et de choisir la voie à emprunter en termes d’éducation, en termes professionnels.

Nous, parents sommes trop souvent dans des impasses. Pourtant, la société leur a reconnu le droit de se marier, de voter, de travailler, d’avoir une vie sentimentale. Mais pour rêver au futur, il faut agir au présent.

Pas un seul enfant, pas un seul adulte ne ressemble à un autre. La trisomie 21 n’est pas une identité, c’est une particularité.

Cette journée du 21 mars est l’occasion de lutter contre les clichés qui définissent trop souvent la trisomie 21. Une journée mondiale pour rappeler que les personnes trisomiques ne sont pas toujours heureuses, qu’elles ne sourient pas béatement devant l’injustice du monde. Elles sont sensibles, ont leurs propres opinions, leurs propres goûts, elles savent lire et faire des projets d’avenir. Les personnes porteuses de trisomie ne sont pas des numéros administratifs, des pathologies classées par case.

Nous, parents, n’avons bien souvent que quelques lignes pour expliquer, pour exposer notre problématique et espérer convaincre les administrations.

Nous, parents, n’avons bien souvent que quelques lignes pour expliquer, pour exposer notre problématique et espérer convaincre les administrations. Nous n’avons que vingt lignes pour résumer l’extraordinaire, la guerre des mots des gens ordinaires.

Surtout pas de pathos, pas d’ironie, pas d’humour. Une écriture au front, des nouvelles des tranchées. Une biographie de guerre, des évènements racontés avec lucidité, vérité, avec espoir — un beau soleil au-dessus de la tête. Les pieds ne sont pas contés. Quelques confidences sur ton de paradoxes, des mots comme des munitions. Une biographie pour comprendre ce qui se joue de l’intérieur, des mots qui décrivent pour donner à lire une intime conviction, de l’inattendu, du sensible et de la sincérité.

Mais ces mots ne convainquent pas toujours ceux qui les lisent, de la même façon. Les familles des personnes porteuses de trisomie n’ont donc pas toujours le choix devant les perspectives qui leur sont offertes. Or, la vie n’est qu’un ensemble de choix que chacun doit pouvoir exercer librement.

Je rêve de pouvoir écrire un jour, pour tous, le même récit. Conter une aventure qui trouverait son point d’orgue dans l’altérité, dans l’énergie de la liberté, le pouvoir de l’égalité et la force de la fraternité.

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